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On hostile ground de Liz Mermin et Jenny Raskin

Ce documentaire (modeste par sa forme, terrifiant par son contenu) filmant la vie quotidienne de trois médecins qui pratiquent des avortements, respectivement dans l’Etat de New York, en Alabama et dans le Montana, rappelle étrangement les codes d’un genre cinématographique pourtant fictionnel : le western.


Imaginez : après le meurtre de plusieurs de leurs collègues, des menaces quasi quotidiennes et des procédures juridiques visant à faire cesser leur activité, ces médecins sont contraints soit de vivre extrêmement loin de leur lieu de travail (800 km trois jours par semaine pour Richard Stuntz, déjà âgé), soit de batailler contre la justice pour faire jurisprudence (c’est le cas de l’assistante médicale contre qui les Etats-Unis ont tenté de créer une loi sur mesure), soit de s’armer jusqu’aux dents, comme Morris Wortman, père de famille qui cache un colt dans ses chaussettes.


Morris Wortman est de loin le " cas " le plus intéressant : refusant de se cacher, il se laisse volontiers interviewer par la télévision. Il tisse même des liens avec l’une des militantes anti-avortement qui récite des prières pour les futurs fœtus morts devant la porte de son cabinet médical : " Si tous les manifestants étaient comme elle, tout irait bien ! ". Le moment le plus intéressant du film surgit au détour d’une confession ; Morris raconte pourquoi il fait ce métier : " Ma mère a eu un enfant débile, avant de m’avoir moi. Alors quand elle était enceinte de moi, elle faisait exprès de tomber dans l’escalier, ou elle se jetait par terre depuis la table de la cuisine… " Paradoxe très humain que de vouloir rendre possible, aujourd’hui, le choix de la maternité, alors que l’on doit sa propre existence à cette douloureuse absence de choix…


Reprenons : western, car c’est bien du fin fond de l’Amérique que provient le fanatisme conservateur qui rend l’avortement matériellement difficile. Rien de nouveau, certes. Mais western aussi car seuls contre " tous " (contre des communautés qui se mobilisent au jour le jour pour harceler patientes et médecins, contre les propriétaires même qui refusent de renouveler des baux, contre les Etats, contre des terroristes qui plastiquent les locaux…), les trois personnes du film deviennent presque des héros. Le critique américain Leo Braudy ne parlait-il pas de la " communauté insulaire, [toujours] sur la défensive " propre au western ? De fait, les médecins pratiquant les avortements deviennent, comme les vieux cow-boys solitaires qui devront finalement rallier la communauté villageoise, une espèce en voie de disparition.


Film de genre enfin parce que, comme dans ces films où les conventions permettent une plus grande violence grâce à une mise à distance du spectateur, on pourrait dire ici que les conventions, ce sont précisément ce que nous savons déjà de la société américaine contemporaine, de son conservatisme. Dans ce contexte en effet, la surprise est que l’on s’étonne à peine de la violence dont témoigne ce film ! L’arrivée au pouvoir de George Bush a ainsi un effet de vaccin sur la vision que le reste du monde porte à cet " hostile ground ", l’Amérique profonde. Malgré lui donc, ce film, le premier long-métrage de deux documentaristes produit par Catherine Gund –documentariste et universitaire très active politiquement– risque hélas de voir sa portée politique singulièrement amortie en Europe.

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