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La mer d'abord. En super-8, tremblante, à la couleur unique. Ces images obsédantes sont comme des souvenirs de l'enfance, quelque chose qui a fait le regard nous est donné à voir. Car ce film donne à voir avant tout un regard, celui nostalgique d'Henri-François Imbert. Est-ce le sujet, des cartes postales retrouvées, ou sa voix, sourde, belle, qui donne l'impression de douce tristesse qui envahit tout le film ? Henri-François Imbert dit « Je », il cherche quelque chose d'extérieur, des cartes, quoi de plus banal, et pourtant No Pasaran dévoile une intimité émotionnelle, sans rien montrer du cinéaste (même pas son corps, qui reste derrière la caméra).


Henri-François Imbert a retrouvé des cartes postales faisant partie d'une série. Ces cartes représentent un lieu qu'il a connu enfant – le village de sa famille – lors d'un temps qu'il n'a pas connu – la fin des années 1930. La série montre des réfugiés espagnols qui ont fui leur pays après la Guerre d'Espagne. Ce sont donc des photos de foule, en noir et blanc, des photos de camp ou de marche. Imbert se lance dans une véritable quête : retrouver les autres cartes de la série, comprendre ce qui s'est passé et ce regard sur la réalité. Il suit la piste que lui donnent les légendes des cartes. Dans sa recherche, il trouve aussi d'autres choses, des traces plus profondes de l'Histoire, parce que des camps de réfugiés aux camps de déportation, il n'y a qu'un an et qu'un pas – voire moins.


Les lieux interrogés sont ceux qui ont entouré son enfance. C'est ce qui rend bouleversante cette recherche, elle est aussi celle d'un enfant qui a vu des images, et qui veut les reconstituer, même si d'une certaine façon cela le détruit. A certains moments, passionnants, le cinéaste s'interroge sur la ressemblance des cartes. Il trouve une carte qui est le sosie d'une autre mais qui porte un autre numéro. Au début on croit que ce sont les mêmes. Même axe, même train, une foule, mais peu à peu on voit que ce n'est pas la même foule et que les portes du train sur l'une sont fermées, sur l'autre ouvertes. Qui est ce regard qui a eu le droit de photographier ça, d'ici ? La voix d'Imbert nous révèle aussi sa quête du lieu où a été tiré ces photos, et de l'agence qui a envoyé ses photographes.


Le film interroge le regard de l'artiste, son droit, ses limites. Celui d'Imbert ne se pose quasiment que sur ces cartes, en plans fixes, qui durent, qui durent, jusqu'à la fascination. Les cartes sont aussi des images mentales, celles du cinéaste qui les transmet au spectateur. Chaque détail, chaque contraste devient saillant, objet d'une recherche minutieuse. C'est en regardant le tout petit, avec une économie de moyens extrême, que le cinéaste nous captive. Il y a les images super-8, donc, et les cartes qui représentent la grande majorité du film, l'enchaînement des cartes étant seulement rompu par l'arrivée (encore un autre type d'image, la Béta) de rencontres. Car Imbert donne aussi la parole à d'autres, à des fous comme lui, collectionneurs de souvenirs collectifs. Au marché ou chez eux, il filme la passion des cartes pour trouver un écho à la sienne, et d'autres cartes de la série. C'est ainsi qu'il reconstitue peu à peu la série des cartes et que l'Histoire se reconstruit.


« No Pasaran », « ils ne passeront pas », est le cri de guerre des anti-franquistes, ceux qui ont été obligés de fuir en France. « Album souvenir », c'est l'intime, quelque chose qui ne regarde que soi. Imbert réunit les deux dans un même regard, comme les cartes postales, parce qu'elles sont faites pour être envoyées à une personne proche, et qu'en même temps, ces cartes représentent un moment historique. Quand Imbert parle de l'histoire, il parle de lui, quand il parle de lui, il parle de l'histoire. Les images de mer du début reviennent, aussi proches des premières que le sont les cartes postales sosies, elles reviennent chargées d'émotion, celle de l'enfant qui a transmis sa quête à l'adulte, et celle d'un impossible retour.

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