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No man's land de Tanis Danovic

No man’s land est bâti sur deux lieux communs : le contraste entre la beauté de la nature et l’horreur de la guerre (une belle journée d’été), et la similarité entre les deux camps : Čiki le bosniaque et Nino le Serbe se rencontrent par accident et, jumeaux ennemis, finiront par s’entretuer, non sans s’être aperçus entre-temps qu’ils ont connu la même fille à Belgrade. Le montage parallèle lorsque Nino et son collègue rampent vers la tranchée où se cache Čiki – apparemment seul survivant bosniaque d’une attaque serbe –, les dialogues en miroir entre les deux hommes (qui, se saississant d’une arme à tour de rôle, se font respectivement avouer, l’un après l’autre, que c’est leur propre camp qui a commencé la guerre), tout contribue à apparier les deux protagonistes, donc à nous répéter que la guerre est absurde. A l’Est, rien de nouveau…


L’arrivée des FORPRONU (les « Schtroumpfs ») et d’une journaliste de la télévision britannique (Katrin Cartlidge, l’excellente héroïne de Claire Dolan de Lodge Kerrigan) offre une ouverture à ce film clos sur lui-même avec son unité d’action, de lieu (la tranchée) et de temps (une journée d’été de 1993). Mais cette trouée narrative oriente définitivement le film vers une satire un peu poussive : le général égrillard tripote une secrétaire ou feuillette une revue porno, le commandant assène ordre et contre-ordre, la neutralité prétendue est pure hypocrisie (« on n’est pas neutre devant un meurtre »), et les journalistes mêmes, qui percent à jour l’inefficacité de la FORPRONU, sont toujours prêts à jouer les charognards. Personnage fascinant, Čera, camarade bosniaque de Čiki que les deux hommes avaient cru mort, est allongé sur une mine qu’un soldat serbe, désormais mort, a installé sous lui à destination des secours. Le moindre mouvement, même seulement intestinal, risque d’anéantir les trois soldats, et par conséquent, de couper cours au récit. Espérant un désarmorçage, au propre comme au figuré, de la situation, Čera s’efforce de maintenir les frères ennemis dans un équilibre relatif pour que les casques bleus viennent le déminer.


La comédie de guerre, même avec ses grosses ficelles, marque au moins ici la reconnaissance par l’Europe (puisque le film est co-produit par cinq pays) qu’une guerre a eu lieu en son sein (l’Europe, oui, la même que celle des Rolling Stones, comme semble le rappeler le logo représenté sur le T. Shirt du bosniaque). Dans l’une des scènes purement comiques du film, un soldat serbe observant à distance la tranchée s’exclame, lisant un journal : « Ouh… Quel bordel au Rwanda ! » : mise à distance facile, et cependant quelque chose y insiste ; la guerre à laquelle il participe lui-même lui est presque invisible, et la terre sur laquelle il combat, c’est un no man’s land, un objet de désintérêt quasi-total.


La fin du film, dans son effort trop appliqué de faire sens, demeure pourtant richement ambivalente : Čera coincé, abandonné de tous les fesses sur sa bombe, c’est sans doute la chair-à-canon victime d’une guerre qui la dépasse, mais c’est peut-être aussi en creux le spectateur, l’observateur étranger de la guerre. Passifs, nous n’osons pas bouger, mais notre immobilité nous perd tout autant que nos velléités d’action. Le fait que Tanović, membre du groupe SAGA (Sarajevo Group of Authors) qui a filmé plus de trois cents heures documentaires sur la guerre, se résolve à une tragi-comédie MASHienne devrait faire réfléchir.

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